Homélie du Patriarche Pierbattista Pizzaballa à la messe de minuit, Noël 2022

24 Décembre 2022

Chers frères et sœurs,

Cher Monsieur le President Mahmoud Abbas, et représentants de l’Etat de Palestine,
Cher Représentant de sa Majesté le Roi Abdallah II de Jordanie,
Excellences les Consuls généraux et membres du corps diplomatique,
Que le Seigneur vous donne la paix !

“Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays des ténèbres, une lumière a brillé. Tu as multiplié la joie, tu as augmenté l’allégresse” (Is. 9, 1-2).

Une fois encore, nous sommes réunis ici à Bethléem, dans ce Lieu Saint, pour rendre grâce, louer et célébrer le merveilleux événement de la naissance du Sauveur. Une fois de plus, avec le prophète Isaïe, nous proclamons au monde entier qu’une grande lumière est apparue devant nos yeux et qu’une grande joie a rempli nos cœurs, “car la grâce de Dieu est apparue, qui apporte le salut à tous les hommes” (Tite 2, 11) : Jésus-Christ le Rédempteur.

Aujourd’hui, nous sommes invités, comme chaque année, à nous incliner devant ce grand miracle, qui est aussi une annonce de salut et de miséricorde. Noël, en effet, n’est pas seulement un moment, peut-être un peu puéril, de joie, de festins et de lumières, ou d’enfants heureux et de dons partagés avec ceux qui ont besoin. C’est avant tout la célébration de révélation de Dieu dans l’histoire, c’est la manifestation de l’intention divine envers l’humanité, qui atteint son apogée à Noël. Noël est le regard et le jugement de Dieu sur le monde. Et c’est un jugement de salut et de miséricorde, de compassion et non de condamnation.

“Le peuple qui marchait dans les ténèbres …” (Is 9,1). La vie du monde a été bouleversée par le péché. Le monde de cette époque était déchiré, divisé et violent, pas moins qu’aujourd’hui, nous le savons. Mais avec le Noël du Christ, quelque chose commence à changer. Avec la naissance de l’Enfant de Bethléem, en effet, une nouvelle opportunité de relation entre les hommes est née. Il n’y a pas eu de changements soudains dans la vie de ce monde violent, il est vrai. Cependant, cette intention divine, ce désir de compassion de Dieu, qui s’est incarné et rendu visible dans un Enfant à Noël, a commencé à se répandre progressivement à partir de ce lieu dans le monde entier. Et elle a apporté un nouveau style de vie, fondé sur la dignité de chaque homme et de chaque femme, sur une justice qui n’est jamais séparée de la miséricorde, sur le désir que tous soient sauvés. Depuis lors, cette intention divine continue de rayonner, apportant sa lumière à ceux qui habitent la terre des ténèbres.

Mais ce jugement et ce regard de miséricorde et de salut attendent aussi une réponse : ils sont aussi une invitation adressée à tout homme à entrer dans ce nouveau mode de vie, calqué sur ce même désir de Dieu. C’est un appel puissant et solennel à vivre dans cette nouvelle lumière. “ En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes “ (Jn 1, 4-5). Célébrer Noël, c’est donc aussi prendre une décision. On peut choisir, en effet, de ne pas répondre à cette invitation : “Il est venu parmi les siens, et les siens ne l’ont pas reçu” (Jn 1,10-11).

Depuis lors jusqu’à aujourd’hui, ce regard et ce jugement de Dieu se rendent présents dans le monde à travers l’Église. Parce que le christianisme est avant tout le style de vie de ceux qui ont décidé d’accepter l’invitation à être des témoins crédibles du plan de salut de Dieu pour tous. Être Église, c’est faire droit à ce désir divin de miséricorde, que le Noël du Christ a rendu possible et tangible. La communauté chrétienne est appelée, en somme, à rendre le Cœur compatissant de Dieu vivant et présent dans ce monde qui est le nôtre et à regarder l’humanité avec des yeux illuminés par sa lumière rayonnante. On obtient une vision plus juste des événements mondiaux si l’on regarde aussi avec le cœur et pas seulement avec les yeux.

Et que voyons-nous aujourd’hui, ici, dans ce monde qui est le nôtre ? Qu’est-ce que notre Église de Jérusalem contemple ? Qu’est-ce que la lumière de Dieu apporte aux yeux de nos esprits et de nos cœurs, ici en Terre Sainte ?

Avec nos yeux, nous voyons que la violence semble être devenue notre principal langage, notre façon de communiquer. Il y a une violence croissante, tout d’abord dans le langage de la politique. Nous avons déjà exprimé nos préoccupations quant à la direction que prend la politique en Israel, qui risque de rompre l’équilibre déjà fragile entre les différentes communautés religieuses et ethniques qui composent notre société. C’est la tâche de la politique de servir la nation et ses habitants, d’œuvrer à l’harmonie entre les différentes communautés sociales et religieuses du pays et de les traduire en actions concrètes et positives sur le terrain, et non d'attiser, au contraire, les divisions ou, pire, la haine et la discrimination.

Cette année, en outre, nous avons assisté à une augmentation de la violence dans les rues et sur les places palestiniennes, avec un nombre de morts qui nous ramène des décennies en arrière. C’est un signe de l’augmentation inquiétante de la tension politique et du malaise croissant, notamment chez nos jeunes, face à une solution toujours plus lointaine au conflit en cours. La question palestinienne, malheureusement, ne semble plus être au centre de l’attention du monde. Il s’agit là aussi d’une forme de violence, qui blesse la conscience de millions de Palestiniens, laissés de plus en plus seuls et qui, depuis trop de générations, attendent une réponse à leur désir légitime de dignité et de liberté.

Mais la violence n’existe pas seulement en politique. Nous le voyons dans les relations sociales, dans les médias, dans les jeux, dans les écoles, dans les familles, et parfois même dans notre communauté. Tout cela découle de l’aggravation du manque de confiance qui caractérise notre époque. Nous n’avons pas confiance dans un éventuel changement, nous n’avons plus confiance les uns dans les autres. Et donc la violence devient le seul moyen de se parler. Le manque de confiance est à l’origine de chaque conflit, ici en Terre Sainte, ou en Ukraine et dans tant d’autres parties du monde.

Dans ces contextes déchirés et blessés, la vocation première et la plus importante de notre Église est donc d’aider à regarder le monde aussi avec le cœur, et de rappeler que la vie n’a de sens que si elle est ouverte à l’amour. Célébrer Noël pour nous, en tant que communauté de croyants dans le Christ, signifie créer, promouvoir et être une occasion de miséricorde, de compassion, de pardon. Cela signifie apporter dans la vie de notre contexte blessé ce désir de compassion que Dieu nous a manifesté avec la naissance de Jésus. Cela signifie qu’il faut avoir le courage de faire des gestes qui instaurent la confiance. La foi en Dieu doit soutenir notre confiance en l’homme, fonder notre espérance et se traduire par des gestes d’amour gratuites et sincère.

La paix, que nous souhaitons tous, ne vient pas d’elle-même. Elle attend des hommes et des femmes qui savent traduire le style de Dieu en actions concrètes et tangibles, dans les petites et grandes choses de chaque jour. Des personnes, c’est-à-dire qui n’ont pas peur de s’incarner dans la vie du monde et qui, par des gestes d’amour gratuit, savent réveiller le désir de bonté qui habite le cœur de chaque homme, qui ne demande qu’à être libéré des chaînes de l’égoïsme. Jésus, le Sauveur né ici à Bethlehem, a dit « Heureux les artisans de paix. » Lui-même il a donné sa vie sur la croix et par l’amour il a vaincu la mort. Il nous a appris que l’amour est plus fort que la mort.

Ce n’est pas impossible. Le témoignage de tant d’hommes et de femmes ici, en Terre Sainte et dans tant d’autres parties du monde, nous dit que ce style, cette façon de célébrer Noël, est encore possible aujourd’hui, malgré tout.

Je souhaite donc que l’Enfant Jésus réveille aussi en nous, une fois de plus, le désir du bien pour tous, qu’il renforce notre confiance en tout homme et qu’il soutienne notre action pour la paix, la miséricorde et la justice en Terre Sainte et dans le monde.

Joyeux Noël !

Bethléem, 24 décembre 2022
† Pierbattista Pizzaballa
Patriarche latin de Jérusalem


Source: Site Web Patriarcat Latin de Jérusalem
Photo : © Patriarcat Latin de Jérusalem

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Saint-Sépulcre de Jérusalem
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